Claudel et les romanciers de quinze ans, par Bruno Lafourcade

Publié le par hodie.over-blog.org

Nous avions eu M. Bergmann (quinze ans), M. Sperling (dix-huit ans), Mlle Fornia (quatorze ans). On annonce aujourd’hui une Mlle Bramly (quinze ans). Ces jeunes gens ont en commun d’avoir écrit et publié des livres à l’âge où l’on peine à rédiger sa première dissertation. Ils ont aussi des parents célèbres, issus du monde du spectacle pour les deux premiers, de l’édition pour la quatrième : l’habitude de coopter sa descendance pour qu’elle fasse carrière dans les variétés, la télévision et le cinéma a donc gagné le livre, devenu un des départements de l’entertainment.

Quand on sait à quel point la peur domine nos sociétés, on reste stupéfié par l’inconscience de tous ces parents que l’on voit pousser dans le monde leur rejeton. S’ils soupçonnaient ce qu’implique la tension terrible de la vocation artistique, ils ne pourraient pas la voir paraître sans terreur.

On reprend à l’envi le mot de Céline : « Mettre sa peau sur la table » ; on oublie ce qui le suit, qui n’est pas moins significatif : « Il faut payer ». Trop d’écrivains se croient impunis ; ils n’ont pas conscience que leur condition les oblige.

Aucune vocation, avec l’orgueil qu’elle suppose et l’abnégation qu’elle impose, n’est gracieusement octroyée. Sur les plans matériel, social, moral, politique, familial, – il faut payer. Ce sont les défauts d’argent, de considération, de « surface sociale » ; on peut y perdre sa réputation, son honneur, sinon sa raison et sa vie. – Et ce coût, sans doute, a de quoi effrayer.

Il n’ait de créateurs qui ne paient ; même les faux, même les plus absurdes, doivent s’acquitter de cette dette. C’est ce prix payé, souvent à fond perdu, qu’il faudrait rappeler à tous ces parents (et notamment toutes ces otaries d’émissions de télé-crochets que l’on voit battre des mains quand leurs homoncules chantent les bluettes de Françoise Hardy) qui n’ont pour leurs enfants d’autre ambition que celle de devenir des artistes.

Leffroi devant la vocation artistique, nul ne l’a mieux décrit que Claudel, quand il avoue à Jean Amrouche qu’il éprouve « une véritable horreur », et qu’il est « comme frappé de terreur », quand il voit naître chez un enfant cet élan, cette foi. « Je crois, dit-il, que c’est une chose exceptionnelle, que, vraiment, on ne peut souhaiter à personne. »

La création s’adresse à des fonds où sont remuées des forces sensibles, obscures et mal connues, où l’esprit naviguant à vue se désoriente et se déséquilibre ; et il faut être solidement bâti pour y résister, pour que les barrages intérieurs ne cèdent pas. – Cette leçon de Claudel, les éditeurs et les parents des romanciers de quinze ans devraient la méditer.

 

 Bruno Lafourcade

 

Publié dans Littérature

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